Un Shintô proche du pouvoir impérial,
comme source du Reiki ?
Les liens entre Mikao Usui et la cour impériale sont attestés par diverses sources orales et un article paru en 1928 dans le "Sunday Maïnichi", un quotidien japonais. Ils ont donné lieu à toutes sortes de fantasmes chez les praticiens de Reiki. S'appuyant sur les mystifications de Richard Blackwell et sa suite, certains enseignants ont présenté Mikao Usui comme le médecin de l'Empereur ; ce qui est faux et même si un lien de parenté éloigné lie les deux hommes. D'autres ont pensé que le Reiki serait l'envers ésotérique d'un rite impérial, le "Reikiki" (qui est homophone mais ne s'écrit pas de la même manière). Il convient donc d'y voir clair et de considérer si le Reiki aurait une source uniquement shintoïste, et dans ce cas si c'est dans le chamanisme nippon qu'il faut la découvrir.
I. Les arguments d'une source uniquement shintoïste du Reiki.
Deux arguments contraires sont opposés pour expliquer une possible influence du Shintô sur la méthode de Mikao Usui : la répression du Bouddhisme vers 1889, qui ferait des aspects shintoïstes du Reiki une couverture, et le texte du Reiki-kanjô, qui mettrait en évidence un lien avec la doctrine impériale du Shintô.
I-1. L’argument de la répression idéologique du Bouddhisme.
Certains commentateurs ont assimilé à un acte politique la pratique de la lecture des poésies de l’Empereur lors des sessions de Reiki au Japon. Le Reiki étant d’inspiration bouddhiste, selon eux, Mikao Usui aurait tenté de se protéger de la sorte des persécutions, qui frappaient cette religion au début de l’ère Meiji.
Une telle interprétation est douteuse si l’on a en mémoire diverses dates. Le Reiki ne devint un enseignement public que vers 1922. Meiji décède en 1912 et les persécutions contre les bouddhistes eurent lieu seulement vers les années 1889.
Nous devons à ces mesures de répression idéologique la vente des productions littéraires et artistiques bouddhiques à ce qui deviendra notre musée Guimet et une influence déterminante des artistes japonais d’estampe exilés sur l’art occidental, provoquant ces « formes flottantes » à l’origine de l’impressionnisme, du nouvel art, dont Van Gogh fut le chantre talentueux, et de l’art déco en matière d’ameublement.
Les aspects positifs du fait méritaient d’être soulignés ; mais les persécutions en question ne semblent avoir eu aucun effet sur Mikao Usui. Sa pratique du Zen est postérieure à 1889 et se fait visiblement sans aucun souci.
La mention de Meiji dans le Reiki semble plutôt un rappel de la production littéraire de l’Empereur, dont Mikao Usui aurait pu être sensible à la philosophie naturaliste typiquement nippone. Il reste que le fondateur de méthode cite l’Empereur, sans que l’on sache si un lien d’amitié a uni les deux personnages. Les allégations du Lama Yéshé allaient dans ce sens ; elles sont malheureusement dénuées de tout fondement probatoire.
I-2. Le Reiki-kanjô, une possible influence sur le Reiki ?
En 1997, nous avions publié une étude sur le Reiki, reprise sur l’Internet en 2000, et avions mentionné l’importance de la tradition de guérison du mont Kurama ; notamment en relation avec l’empereur Daigo au début de l’époque Heian (794-1185), l’ermite Myoren et les initiations issues du « Reikiki ».
Reikiki signifie le texte (ki) des relations entre l’univers (rei) et l’activité psychique humaine (ki), sachant que cette œuvre littéraire est d’avantage un manuel technique d’initiation, qu’un traité, et le seul rituel connu conjuguant culte des Kamis, de l’Empereur et du Bouddha. Il s'agit d'un texte syncrétique, généralement rejeté par les Bouddhistes et les Shintoïstes "bon teint".
En 2002, une publication du professeur Fabio Rambelli de l’Université de Sapporo (département des Etudes Culturelles, section d’Histoire des Religions du Japon) initiait l’intérêt de la communauté Reiki sur le Reikiki et donnait lieu à la formulation d’une nouvelle école, conjuguant de manière plus ou moins heureuse le Reiki occidental et diverses notions du Reikiki. Plusieurs arguments expliquent un tel rapprochement.
Le premier argument est que le Reikiki fait état de deux lignées de transmission dans le Bouddhisme du Grand Véhicule, depuis le Bouddha Mahavairochana, et dans le Shintô, depuis le premier empereur légendaire du Japon, Iwarebiko, dont le titre posthume est « Empereur Jimmu Tennô » (神武天皇) et qui aurait établi l’empire en l’an 600 av. J.-C. Rappelons que des auteurs ont établi un lien familial entre Mikao Usui et cet ancêtre.
Le second argument est que le Reiki (parvenu en Occident) comprend trois niveaux de progression, comme le Reikiki avec son initiation au Kami, à l’Empereur et au Bouddha sous trois « torii » (pratiques) successifs de purification.
Le troisième argument est que Mikao Usui a fait construire, avec l’aide de ses deux frères de tels portiques en 1923, pour marquer l’accès au sanctuaire de ses ancêtres dans la ville de Tania ; ce qui laisserait par ailleurs à penser que le Reiki est bien une transmission familiale, comme il l’affirme en introduction de son manuel de soin.
Le quatrième argument est que quatre des cinq Bouddhas médités à la dernière initiation du Reikiki seraient en correspondance très nette avec le sens des quatre symboles utilisés dans les niveaux supérieurs de Reiki.
L’identification à l’Empereur proposée par le Reikiki s’explique au regard de la tradition chinoise du Wang, où le monarque est le « régulateur cosmique ». L’identification au Kami doit être donc précisée pour pouvoir continuer notre analyse. Voyons cela.
A. Les Kamis.
Nous avons évoqué plusieurs fois déjà au cours de notre étude le kami Mao-son de Kurama-yama. Pour autant, nous n’avons pas donné de traduction. De quoi s’agit-il ?
Le terme de « kami » a été traduit un peu abusivement en Occident par celui de « dieu ». En réalité, le Kami relève de deux conditions :
- La première est une expérience ressentie face à un événement, un objet fabriqué par l’homme ou un aspect de la nature.
- La seconde condition est que cette expérience doit rendre évident un des aspects de la métaphysique shintoïste ou du processus cosmogonique mythologique.
On distingue également les « Ama Tsu Kami », les kamis terrestres, des « Kuni Tsu Kami », les kamis célestes. Les kamis d’en haut ont pour fonction de faire descendre les forces de l’univers. Les kamis d’en bas, celle de maintenir les forces venues de l’univers dans leur pureté céleste en organisant leurs relations selon un certain modèle d’ordre. A défaut, le désordre s’installe et produit du laid, comme dans la doctrine chinoise de la mutation des cinq éléments en cycle de pouvoir.
En conséquence, l’ordre, c’est le « naijin » : ce qui est intérieur, relève de la civilisation. Le désordre, c’est le « gaijin » : ce qui est extérieur, étranger, barbare au sens antique. Ainsi, les Européens sont des barbares pour Mikao Usui et, en général, pour les Japonais comme le Dr Ushio cité dans l’interview de Mikao Usui.
Il est intéressant de noter encore que les influences des Kuni Tsu Kami sont appelées Reiki ; et ceux des Ama Tsu Kami sont nommées « Tamaki ». Un des moyens utilisés par le Shintô pour parvenir à l’union avec le kami, donc de se civiliser convenablement dans le cadre de la culture de l’empire nippon, est la pratique de lignes de sons purs appelés « kototama ». Ces kototamas sont décrits comme les noms des kamis et réputés permettre la réception du Reiki et du Tamaki. Or, de telles lignes de sons semblent présentes dans la méthode de Mikao Usui, sous la forme des quatre symboles du Reiki.
B. Les Kototamas.
Comment se présentent ces kototamas ? Les kototamas sont composés de voyelles, réputées les sons maternels, et de consonnes, les rythmes paternels. Les sons mères sont analysés en cinq puissances (O, A, U, I, E) en rapport avec les cinq Eléments de la cosmologie du Shintô (assez semblables à ceux du système tantrique). Les rythmes pères sont huit, en relation avec les huit attributs de l’Empereur inspirés par les huit trigrammes du Yi-Tching chinois (voir plus loin la partie consacrée au Reiki et au Taoïsme) et considérés comme des kamis.
Les documents de Takeuti, datés de 3.500 ans au Japon, décrivent ainsi les événements sonores ayant marqué l’apparition de la Terre selon le mythe nippon . Ils enseignent que les premiers êtres vivants supérieurs de notre planète, les « Sumela Mikoto », n’étaient pas des hommes physiques, comme le lecteur et nous, mais des êtres de nature subtile, qui utilisaient les sons pour agir sur la matière. Avant d’aller se divertir dans un autre monde, ils enseignèrent à des « gardiens du son » la manière de transformer la lumière en matière par les kototamas. Rappelons que le nom archaïque du Japon est « Kototama-no Sakiwau-kuni », le pays où fleurissent les lignes de sons.
L’art du kototama s’appuie sur trois niveaux prêtés au son : « Ana », le niveau universel ; « Mana », sa manifestation vibratoire et « Kana », le son perçu par nos oreilles. Selon la vision traditionnelle, notre cerveau capte le Ana venu de l’univers, qui se transmet alors depuis cette antenne à tout le corps sous forme de vibrations Mana et s’exprime en Kana, nos sons articulés en mots. Le lien Ana, Mana et Kana étant interrompu chez la majorité des êtres, ils ne vibrent pas naturellement, mais ils raisonnent. C’est à dire qu’ils sont enfermés dans leurs ratiocinations mentales et leurs habitudes émotionnelles jusqu’à croire en l’existence d’un moi permanent (ego) et à en tomber malades (psychiquement, puis physiquement). On retrouve ici des concepts du Bouddhisme tantrique.
Les exercices initiatiques afférents sont des vocalisations et des écoutes successives de lignes de sons, à partir de celles conservées par les gardiens et transmises de maître à disciple. Ils sont réputés rétablir la communication entre les trois niveaux de Kototama. Le pratiquant peut ainsi se remettre en phase avec la vibration à l’origine du monde, puis transformer à son tour la lumière en matière et inversement. Cette technique est comparable à des exercices assez similaires des alchimies internes taoïstes en Chine, où l’influence céleste est vue comme une vibration thérapeutique.
Divers éléments de ces techniques du Kototama sont confondants au regard du Reiki. D’une part, trois manières de prononcer le son sont mises en œuvre lors des exercices. La première, « Yama-biko Ho », consiste à énoncer chaque syllabe à haute et intelligible voix, le souffle devant être repris à la fin de chaque ligne de son, pour produire un effet de force. La seconde, « Kototama-no-fukushu Ho » à souffler de façon continue les syllabes sans les vocaliser, sur l’inspiration et l’expiration, produisant un effet de nettoyage sur le cœur, vu comme base du psychisme. La dernière, « Ryu-o-no-kokyu Ho », à les vocaliser dans l’expiration, le souffle devant être repris à la fin de chaque ligne de son, pour susciter une infusion de sagesse intuitive venue de l’univers. On retrouve ici les idées présentes dans les traductions des formules sonores des trois symboles du soin à distance pratiqués dans le Reiki.
D’autre part, quatre lignes de sons sont vocalisées pour produire la matière à partir de la lumière. Les lignes sont en relation avec les quatre premiers éléments de la cosmogonie et les quatre premières voyelles mères: « hO ku ei » pour l’espace ; « ei Ai ki » pour l’air ; « ho a ze ho U ne » pour le feu et « a-I ku yo » pour l’eau.
Ces techniques de vocalisation et ces lignes de sons ne sont pas loin des formules verbales véhiculées par la tradition orale du Reiki pour quatre des symboles : Force, « Cho-Ku-Rei » ; Mental, « Sei-He-Ki » ; Pont, « Hon-Sha-Ze-Sho-Nen » et Temple de la Lumière, « Dai-Ko-Myo ».
Le lecteur jugera ; d'autant que l'on soupçonne un groupe d'extrême droite japonais, qui s'appuie sur une relecture des Kototamas, d'avoir inventé de toutes pièces ces lignes de son pour attirer la clientèle du Reiki. Ceux là affirment même une origine juive de la famille impériale, qui a d'ailleurs conduit à de récentes analyses génétiques. Si bien entendu le gène juif est un mythe, puisque le Judaïsme est une religion et le Sémitisme un groupe de langues, il s'est avéré que les Empereurs du Japon étaient d'origine coréenne.
C. L’initiation impériale et le Reiki.
Les poésies de l’empereur Meiji cacheraient également des lignes de sons intéressantes au regard de la science du Kototama. Et si nous avons fait cette longue digression dans les aspects secrets du Shintô, elle se justifie pour répondre à la question que nous nous étions posée à propos du Reikiki de l’empereur Daigo, de la nécessité de s’identifier à un kami par le moyen de l’initiation.
L’identification à un des aspects de la métaphysique ou du processus cosmogonique nippon, sous la forme du kami, répondrait alors au besoin d’un individu de sortir des vibrations produites par ses propres réactions émotionnelles et ses ratiocinations mentales. Ces activités ont un impact sur la chimie du cerveau et en changent constamment le volume. Amplifiées par la dure-mère et véhiculées sous forme de vibrations jusqu’aux organes et aux cellules par les systèmes nerveux, cérébro-spinal et des fascias, l’activité psychique encouragerait ou perturberait, selon son contenu, la vitalité du corps (jusqu’à sa vie cellulaire même).
Les masseurs et chiropracteurs ne manquent pas d’expérimenter, en effet, le rôle organisateur et désorganisateur de la pulsation cérébro-spinale (ou P.C.S.) dans leur art thérapeutique. La particularité commune du Kototama-Do et, dans le Reiki, de la pratique des wakas résulterait de l’ambition de substituer une vibration issue de l’origine de l’univers aux vibrations produites par nos ratiocinations mentales et nos habitudes émotionnelles. Une sorte de remède pour aller du « Big Bang à l’Eveil » ; si la formule est permise dans un tel contexte. Ou encore de faire un peu taire le narcissisme de notre petit universel personnel en le mettant en perspective avec le grand univers, qu'est la nature.
Or, le rôle social de l’Empereur n’est-il pas de véhiculer les influences de l’univers vers tous les hommes ? Deux pistes peuvent donc maintenant être écartées pour analyser la méthode de Mikao Usui en tant que fait social au Japon et en relation avec la fonction du culte shintô. Ces deux hypothèses ont été formulées par ceux qui entendaient formater le Reiki à l’aune du Reikiki et sont les suivantes.
La première est que le Reiki serait une réaction personnelle de rejet, de la part de Mikao Usui, au changement imposé par l’ouverture du royaume aux étrangers, avec un caractère forcément transgressif. Ce cas fut celui de la Sokka Gakkai, une pratique tirée des enseignements de la Nichiren Soshu, une école bouddhiste, qui a valu quelques soucis à son fondateur (emprisonnement), puis a pris une dimension politique considérable au Japon après guerre et encore de nos jours, de nature nettement subversive.
La seconde hypothèse est que le Reiki aurait pu constituer un moyen du pouvoir impérial, comme le Reikiki à l’époque médiévale, de créer sciemment une élite intellectuelle, de l’adapter au climat social et idéologique décidé par les dirigeants politiques et économiques et de s’en servir pour administrer le royaume.
Or, on peut répondre immédiatement par la négative à la première piste d’analyse. Le Reiki ne transgresse aucun interdit institutionnel nippon traditionnel, ni même de l’époque Meiji. Bien au contraire, il subit l’influence de l’Empereur (les wakas).
La deuxième piste peut être également réfutée aisément. Si le Reiki devait une influence au Reikiki, ce serait après les rencontres possibles vers 1923 de Mikao Usui avec Eguchi, un célèbre guérisseur qui, lui, connaissait le texte, et avec Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido et un des soit-disant gardiens du son dans la lignée du Kototama. Or, ces rencontres ne sont pas rigoureusement établies ; même si elles sont probables.
Un dernier élément est confondant et pourrait expliquer que les étudiants de Mikao Usui d’avant 1923 n’aient pas eu tous connaissances des symboles du Reiki. Le 12ème fascicule du Reikiki, le « Amefudo-no-maki » considéré comme la partie centrale de l’initiation, met en œuvre une formule verbale pour introniser le kami devenu empereur en Bouddha. Cet ensemble de lettres-germes sanscrites (« Vam, Hum, Trah, Hrih, Ah ») rappelle à la fois les symboles de Mao-Son à Kurama-yama, mais aussi les formules sonores utilisées dans le Reiki. S’agit-il de liens avérés ou de techniques identiques, universellement présentes au Japon ?
On peut se demander si ce Shintô intellectuel, lié aux hautes classes politiques et religieuses, est vraiment la source du Reiki. Des auteurs l’ont nié récemment, opérant un rapprochement du Reiki soit avec le mouvement populaire néo-shintoïste, dont nous avons eu l’occasion de traiter ; soit son ancêtre, le Shintô chamanique ancestral. Qu’en est-il ? Voyons cela à la suite.
II. Un Shintô chamanique, comme source du Reiki ?
Hiroshi Doï, un japonais en contact avec des étudiants ayant eu la transmission du Reiki dans la ligne directe de Mikao Usui, a proposé une nouvelle école de Reiki, le Gendaï Reiki, puisant à la source nippone mais adapté aux capacités des gens modernes. Son étudiant, Yann Le Quintrec, a livré des indications permettant une meilleure compréhension des aspects spirituels du Reiki dans la perspective du Shintô, ainsi que des commentaires sur ce qu’il estime à juste titre comme des altérations du message de Mikao Usui (Reiki new-age, Reiki néo-bouddhiste et mystifications autour du Reiki).
A ce titre, s’est posée la question de la perception par les Occidentaux des éléments du Reiki qui sont liés au Chamisme nippon, qui n’opère pas de distinction fondamentale entre le monde concret que nous percevons, et le monde dit « spirituel ». Ce dernier est d’ailleurs double : il s’ouvre, vers le haut, dans la direction des états multiples de l’être et, vers le bas, dans le domaine des ancêtres et des formes en dissolution. Dans le premier cas, les rites sont des invocations à des forces célestes et on parle alors en Occident de « magie blanche » ou de théurgie. Dans le second, les pratiques sont des évocations des morts et on envisage alors de même le domaine de la « magie noire » ou de la sorcellerie. On devrait même dire "sourcellerie", car il s'agit ici aussi de revenir à la source et de sentir son cours. Le terme n'était pas péjoratif avant les persécutions catholiques et cette distinction ne vaut certainement pas au Japon.
Toutefois, voyons de quoi il s’agit et si des risques existent à ainsi nous affranchir de la « coquille » dont le matérialisme nous protège, pour nous ouvrir au domaine subtil.
A. Monde matériel et monde spirituel.
Un auteur japonais contemporain, Haruki Murakami, permet de saisir cette dimension spirituelle qui n’est plus accessible aux Occidentaux : le rapport aux anciens (et la gratitude et le respect que nous devons leur témoigner) et au monde spirituel des Kamis, décrit par le Shintô et auquel fait allusion le terme « Rei » dans Reiki.
En effet, on peut traduire « Rei » par « influence cosmique », comme nous l’opèrons du fait de notre formation intellectuelle plutôt bouddhiste, ou « monde spirituel », traduction plus conforme au Shintô, envisageant les deux aspects de théurgie et de sorcellerie.
Haruki déclarait à la revue « Magazine Littéraire » à propos de la manière des Nippons de considérer le monde spirituel :
« Vous essayez de questionner toutes les certitudes usuelles, des valeurs jusqu’à la réalité du quotidien ? Nous croyons vivre dans un univers relativement sain. J’essaie de déranger cette perception, cette vision du monde. Certaines fois, nous vivons dans le chaos, la folie, le cauchemar. Je veux plonger le lecteur dans un monde surréaliste, un monde de violence, d’angoisse, d’hallucinations… Je pense que nous vivons dans un monde, ce monde, mais qu’il en existe d’autres tout près. Si vous le désirez vraiment, vous pouvez passer par-dessus le mur et entrer dans un autre univers. D’une certaine manière, il est possible de s’affranchir du réel. C’est ce que j’essaie de faire dans mes livres. C’est un concept très oriental, très asiatique, à ce qu'il me semble. Au Japon, en Chine, on considère qu’il existe deux mondes parallèles et des passerelles qui permettent sans trop de difficultés de passer de l’un à l’autre. Ce n’est pas le cas en Occident, où ce monde est ce monde-ci, et ce monde-là est ce monde là. La séparation est stricte. Le mur est trop haut, trop solide pour être franchi. Mais dans la culture asiatique, c’est différent ».
Il existe donc de tout temps une autre manière de voir le monde, comme on le retrouve dans le Chamanisme, par la transe, ou dans les sociétes traditionnelles, par la prière et l’extase mystique. L’Occident rationnel a perdu la clef des songes et ne propose plus que des versions frelatées de la spiritualité.
Ainsi, si le spiritisme, la Société Théosophique et les mystifications spirituelles sont blâmables, c’est parce que leurs auteurs ont surtout entendu créer à des fins de pouvoir ou d’argent des doctrines fallacieuses et ont abusé leurs étudiants. Toutefois, il est clair que le public, qui en a été victime, est excusable. Les traditions anciennes, quel que soit leur intérêt sur le plan intellectuel et historique, apparaissent de plus en plus comme des coquilles vides de tout charisme, peu aptes à tracer des voies pour l’avenir.
Les spiritualismes contemporains sont les témoins d’une volonté d’explorer ce « monde spirituel », dont le cartésianisme a coupé l’Occident. Ils sont critiquables du fait de leurs maladresses et de toutes les dérives, commerciales et sectaires, qu’une recherche de sens hors cadre traditionnel rend toujours possibles. Toutefois, en soi, ils sont les témoins d’un mouvement de fond dans le psychisme collectif. Cette ouverture s’opère t-elle vers le monde spirituel d’en haut, le Rei, ou au contraire vers les aspects infernaux de la conscience, c’est à dire vers le bas ? La question mérite d’être posée lorsque l’on considère les formes new-age de Reiki, qui proposent par exemple « d’ouvrir l’inconscient », véritable coffret de Pandore.
Une des propositions, qui connaît actuellement le plus de succès, est celle du Dr Guylaine Lanctôt , proposant une émancipation des modèles antiques comme du spiritualisme du XXe siècle pour fonder une éthique basée sur le respect d’autrui et un mode de vie où l’individu se ré-approprie sa propre capacité à connaître et la responsabilité de sa propre sécurité, jusque là toujours déléguée à des autorités (religieuses, scientifiques, techniques) et des pouvoirs (Etat, Police, Tribunaux) extérieurs (on parle de plus en plus du monde moderne comme d’un Big Brother). Le médecin québécois propose de passer du monde matérialiste que nous subissons, à un monde plus spirituel, où nous sommes acteurs de notre conscience. Cette trajectoire présente bien des simitudes avec la démarche originelle du Bouddhisme.
Cet appel à un monde de paix n’est pas étranger au coeur de chacun, ainsi que les aspects sociaux (harmonie sociale solidaire) et écologiques (respect de l’environnement) qui en découlent. L’Occident était devenu, du fait de religions autoritaires et d’habitudes mentales héritées de la Renaissance, assez hostile à de telles préoccupations avant l’utilisation politique du fait du réchauffement du système solaire, et donc de notre planète. Toutefois, il se pourrait qu’une certaine méprise se soit installée en Occident quant au chamanisme, celui du Shintô ne faisant pas exception.
Une encyclopédie en ligne propose un article (à la suite) sur la question. Les indications données permettent de comprendre pourquoi le Reiki, finalement assez économe en éléments doctrinaux, parle y compris aux Occidentaux les plus fous, comme les plus cartésiens. Malgré son caractère exotique, le Reiki semble venu d’un fond commun de l’humanité, que nous aspirons sans doute à retrouver dans nos sociétés où l’évolution des moeurs et des croyances a conduit à un mépris de l’homme et de son environnement jamais atteint dans toute l’histoire de l’humanité.
« 1. Monde spirituel et monde naturel.
La principale caractéristique de la conscience religieuse traditionnelle, telle qu’elle peut être étudiée chez les Polynésiens ou en Afrique, est l’absence de toute frontière nette entre le monde spirituel et le monde naturel, et donc entre l’esprit humain et l’environnement.
Le philosophe français Lucien Lévy-Bruhl appelait cette absence de frontière participation mystique, évoquant un sentiment de fusion entre l’homme et son environnement. Une absence de frontière similaire apparaît également entre le monde de l’expérience diurne et celui du rêve, et entre la volonté individuelle et les émotions du psychisme. En conséquence, le monde extérieur tout entier est chargé de forces mentales ou spirituelles.
Les objets matériels, en tant que caractéristiques stables et compréhensibles du monde extérieur, n’existent pas car tout semble se comporter de manière aussi saugrenue que dans les rêves. Incontrôlés comme peuvent être les expériences dans cet état d’esprit, ils apparaissent si vivants, si mystérieux et si fascinants, et en même temps si terrifiants, que la nature entière baigne dans une atmosphère impressionnante et inquiétante. L’historien des religions allemand Rudolf Otto a qualifié cette atmosphère de « spirituelle ».
2. Atmosphère spirituelle.
L’atmosphère spirituelle est reliée à tout l’environnement naturel et à tout objet qu’il contient. On trouve un bon exemple de ceci dans le Shintô, une religion « traditionnelle » actuellement pratiquée au Japon. Le terme japonais shintô signifie « la voie des divinités » ou « la voie de l'esprit ». Selon le Shintô, toute pierre, arbre, animal et cours d'eau possède son propre “shin” ou kami (en japonais, « dieu » ou « déesse »). Il n'est cependant pas correct d'appeler un kami un dieu dans le sens occidental du terme ; de même, le terme shin ne signifie « esprit » que dans un sens extrêmement vague, car il est souvent utilisé seulement comme une exclamation similaire à « Merveilleux ! ».
Le Shintô ne possède pas d’ensemble de doctrines, pas de symbole et pas d'idées religieuses formulées ; il concerne surtout l'expression du miracle, du respect, et un effroi mêlé d'admiration pour tout ce qui existe. L'accent est mis sur la participation aux cérémonies qui réaffirme l'appartenance à la communauté. Ce souci implique de traiter toute chose comme une personne, pas forcément dans le sens où elle est habitée par quelque fantôme ou esprit de type humain, mais dans le sens où elle possède une vie mystérieuse et indépendante qui lui est propre et ne peut être considérée comme provenant d'ailleurs. Qu'il s'agisse du Shintô de la Maison impériale, du Shintô des Temples, du Shintô des sectes ou encore du Shintô populaire, le but est de renforcer l'identité et la religiosité japonaises.
Manifestement, certains éléments tels que le soleil, la lune, l’océan et certains monts et lieux possédant une étrangeté ou une beauté particulière semblent plus que d'autres chargés d'une puissance spirituelle. De même que l'intensité du spirituel diffère selon les endroits, les qualités ou aspects de l'atmosphère elle- même varient. Les anthropologues utilisent couramment les termes polynésiens mana et tabou pour caractériser les aspects positifs et négatifs de la présence spirituelle. Lorsqu’elle est qualifiée de “mana”, elle est puissante et utile, mais lorsqu'elle apparaît comme un tabou, elle est effrayante et interdite.
Dans les religions traditionnelles, les choses et lieux externes ne sont pas les seuls à être chargés de spirituel de façon étrange, car c'est également le cas des êtres humains. C'est le “chaman” ou le medecine-man qui se voit accorder un accès spécial au mana ou à l'aspect « puissance » du monde dans ces types de religion. Ce rôle est très différent de celui du prêtre ou du ministre dans les religions telles que le Christianisme car le pouvoir du chaman n'est pas d'origine traditionnelle, mais personnelle. Il s'agit de sa découverte particulière, provoquée dans la solitude, à partir d'une relation avec des rêves.
Le spirituel est plus que la sensation d'effroi mêlé de crainte et le mystère en présence d'un monde étrange. L'absence d'une frontière bien définie entre l'esprit humain et son environnement, dans un monde où les événements, tant intérieurs qu'extérieurs, sont susceptibles de se produire, fait naître des extases aussi bien que de l'effroi. Chez les Navajos, par exemple, cet aspect du spirituel est appelé “hozon”, un terme qui se réfère à une sensation de beauté et de paix extrêmes, qui peut être invoqué par des rituels composés de chants, de danses et de peintures sur sable. Ces rituels de magie bienveillante, qu'ils invoquent l'hozon, la pluie ou les cultures fertiles, trouvent leur origine dans la fusion entre les humains et la nature, et entre les représentations de l'esprit et les événements du monde extérieur.
3. Rituel
Le rituel joue un rôle prépondérant dans les cultures traditionnelles, bien qu'elles ne le distinguent pas de la vie quotidienne. C'est plutôt une tentative pour influencer ou s'harmoniser avec le cours de la nature par la représentation dramatisée ou symbolique d'événements fondamentaux tels que le lever du jour et du soleil, le changement de saison, les phases de variation de la lune, et la plantation et la récolte annuelle des cultures. En outre, le rituel exprime les grands thèmes mythiques qui, dans ces cultures, remplacent les doctrines religieuses. Le rituel, tel qu'il apparaît dans les religions traditionnelles, peut donc être décrit comme une forme d'art qui exprime et célèbre la participation de l'humanité aux affaires de l'univers et des dieux. Le symbolisme lié à la naissance et à la mort ont souvent une place de choix.
Dans les cultures dans lesquelles domine ce type de sentiment par rapport au monde, aucun domaine de la vie n'est spécialement réservé à la religion. Tout est pénétré de religion, même si on tente de distinguer le sacré du profane. En effet, la religion est si impliquée dans la vie quotidienne qu'il est difficile de préciser les frontières du sacré et du profane. Seuls les degrés inférieurs et supérieurs du sacré existent. La religion n'existe pas en tant qu'activité spécifique et les membres de ces cultures auraient les plus grandes difficultés à parler de leur religion. Ils ne peuvent en aucune manière distinguer les rituels invoquant une chasse fructueuse de ce que la culture occidentale appellerait la pure technique de la chasse. Des formes symboliques dessinées sur les lances, les bateaux et les ustensiles domestiques ne représentent pas, pour eux, des ornements superflus, mais des parties fonctionnelles de l'objet, qui invoquent le mana pour une utilisation efficace. Mana peut être identifié avec le pouvoir, la force psychique, les expériences communautaires du divin.
4. Mythe
De même, ces cultures ne possèdent pas de doctrine religieuse élaborée ou de concepts abstraits sur la nature du spirituel et sa différence avec toute autre chose. L'esprit est un sentiment plutôt qu'une idée ; le langage qui lui est le plus adapté n'est pas composé de concepts mais d'images et de symboles. Par conséquent, on trouve, à la place de la doctrine religieuse, un ou plusieurs mythes, ou un ensemble peu cohérent d'histoires transmis de génération en génération parce que, d'une manière totalement imprécise, ces contes explicitent la signification du monde. Selon les interprétations anthropologiques les plus anciennes du mythe, telles que celles de l'anthropologue écossais James Frazer, les dieux et héros mythiques personnifient les corps célestes, les éléments et les soi-disants esprits des cultures et des pâturages, et les mythes sont des explications naïves des voies de la nature.
Le savant sri-lankais Ananda Coomaraswamy propose une explication un peu semblable du mythe de la culture indienne et indonésienne. Il pensait que les grands thèmes mythiques sont les paraboles d'une philosophie éternelle, une connaissance intuitive de la nature et de la destinée humaines qui a toujours été accessible à ceux qui souhaitent réellement sonder les profondeurs de l'âme humaine. La philosophe américaine Susanne K. Langer soutient que le mythe représente l'exemple le plus ancien d'idées générales et, par conséquent, de pensée métaphysique. Selon Langer, le langage est plus adapté métaphoriquement que littéralement à l'expression d'idées nouvelles. Il faut probablement abandonner l'idée selon laquelle les mythes du soleil et de la fertilité sont des tentatives rudimentaires pour expliquer les forces naturelles comme la science les explique. De la même manière que les cultures qui créent des mythes ne font pas de différence entre l'esprit et la nature, ou la religion et la vie, ces mythes ne distinguent pas non plus la vérité symbolique ou l'imaginaire de la vérité concrète ou du fait. Il ne s'agit pas de confondre le mythe avec le fait, car l'idée de fait concret n'est pas encore intervenue ».
Entre le monde très concret de nos sociétés matérialistes, promises à un esclavage où le citoyen serait amoureux de ses chaînes (selon l’expression d’Aldous Huxley, dans « Le meilleur des mondes »), et celui spirituel des Anciens, le Reiki semble proposer un pont. S’il permet la compréhension aisée des systèmes antiques, comme la société synarchique ou le monde chamanique, on ne peut pas en conclure pour le moment qu’il augure d’une nouvelle forme de spiritualité authentique. A ce titre, l’étude du Reiki au regard de ses sources (le Shintô, le site de Kurama-yama et le Bouddhisme japonais) nous paraît être une bien sage précaution.
Le retour au spirituel, qui semble caractériser notre époque, est donc assez neutre en soi. S’il s’agit d’une ouverture sage vers le charisme et la vitalité du cosmos où nous nous trouvons, le néo-spiritualisme est un signe encourageant ; le Reiki ouvrant sans conteste à ces dimensions.
Toutefois, l’ouverture des consciences au monde subtil peut se faire également vers le bas ; c’est à dire vers les résidus morbides et les êtres déchus, avides de la vitalité d’autrui. Nous avons alors à faire avec une spiritualité à rebours, dont l’issue est la mort psychique des spiritualistes. Ces forces sont, par exemple, contactées dans le Bouddhisme tantrique pour déconditionner l’adepte de la vision dualiste et de la dépendance à sa « nescience » ; c’est à dire la pseudo-sagesse que nous construisons au gré de notre héritage familial et social et de nos expériences personnelles. Les démons et autres gardiens incarnent alors les forces obscures hostiles à l’Eveil et que le tantriste devra vaincre, apaiser et mettre au service des forces spirituelles. On retrouve cette thématique dans le mythe chrétien de St Christophe.
Or, ces forces négatives ou dissolvantes du domaine subtil, corollaires des forces positives ou constructrices, distillent de nombreux mensonges et mirages. La peste d’une spiritualité frelatée s’est ainsi répandue partout de l’Occident à l’Orient par le biais de la mentalité moderne, à laquelle on peut imputer une forme de Tantrisme dévié, épuisant sur le plan vital pour la victime et destructurant sur le plan psychologique. Parmi les vecteurs qui propagent l’infection, outre la plus grande partie de la franc-maçonnerie anglo-saxonne, un courant bouddhiste, refondu aux Etats-Unis, a inversé le message libérateur du Bouddha et les techniques d’exorcisme des Tantras à des fins de soumission des masses.
Les centres bouddhistes tibétains sont hélas majoritairement inscrits dans cette mouvance ; les Jésuites, initiateurs des sectes illuminatistes en Occident, ayant pris le contrôle du Lamaïsme de longue date. La présence de Lamas tibétains de haut rang dans les dessous du nazisme allemand est un fait avéré. Ce spiritualisme est la manifestation des forces occultes du Nouvel Ordre Mondial, dont l’avènement fut annoncé par des penseurs lucides, comme par exemple René Guénon, qui dénonçait « la grande parodie ou la spiritualité à rebours » dans son ouvrage « Le règne de la quantité et les signes des temps ».
La spiritualité à rebours participe à divers objectifs, dont un objectif politique. Elle annihile le citoyen libre dans le trou noir de la fausse intériorité. La méditation enseignée par les faux maîtres est l’une des trappes qui s’ouvrent sous les imprudents. Les pièges sont nombreux, presque toutes les méthodes du Nouvel Age exposent à des risques. Les adeptes inconditionnels de la plupart des techniques de développement personnel et des pratiques spirituelles mécaniques perdent en réalité leur énergie. Un phénomène d’intoxication masque cette déperdition énergétique et crée une addiction. Les quidams, consommateurs des services vendus sur le marché de la nouvelle spiritualité, se font escroquer et sont victimes d’une prédation subtile.
Les religions n’échappent pas à l’inversion qui caractérise le cycle actuel de l’humanité. Puisqu’il est fait allusion à René Guénon, il n’est pas inutile d’ajouter que cet auteur avait adhéré à l’Islam et vivait en Egypte dès 1930. Dans cette tradition, qui attira des chercheurs occidentaux, la disparition des maîtres de Sagesse est évoquée en ces termes :
« Les gens prendront pour guides des ignorants qu’ils interrogeront et qui leur donneront des fatwas sans aucune autorité ; ils les égareront en s’égarant eux-mêmes. Dans « Le règne de la quantité et les signes des temps », l’auteur annonce les principales calamités qui affectent notre société, notamment la domination d’un pouvoir inique :
[…] Il devra y avoir une collectivité qui sera comme l’"extériorisation" de l’organisation "contre-initiatique" elle-même apparaissant enfin au jour, et aussi un personnage qui, placé à la tête de cette collectivité, sera l’expression la plus complète et comme l’"incarnation" même de ce qu’elle représentera, ne serait-ce qu’à titre de "support" de toutes les influences maléfiques que, après les avoir concentrées en lui-même, il devra projeter sur le monde. Ce sera évidemment un "imposteur" (c’est le sens du mot dajjâl par lequel on le désigne habituellement en arabe), puisque son règne ne sera pas autre chose que la "grande parodie" par excellence, l’imitation caricaturale et "satanique" de tout ce qui est vraiment traditionnel et spirituel ; mais pourtant il sera fait de telle sorte, si l’on peut dire, qu’il lui serait véritablement impossible de ne pas jouer ce rôle. Ce ne sera certes plus le "règne de la quantité", qui n’était en somme que l’aboutissement de l’"anti-tradition" ; ce sera au contraire, sous le prétexte d’une fausse "restauration spirituelle", une sorte de réintroduction de la qualité en toutes choses, mais d’une qualité prise au rebours de sa valeur légitime et normale ; après l’"égalitarisme" de nos jours, il y aura de nouveau une hiérarchie affirmée visiblement, mais une hiérarchie inversée, c’est-à-dire proprement une "contre-hiérarchie", dont le sommet sera occupé par l’être qui, en réalité, touchera de plus près que tout autre au fond même des abîmes infernaux ».
L’idée n’est pas réjouissante d’une parodie finale, singeant tous les aspects de la tradition. Le Reiki new-age, une forme de la méthode remaniée aux Etats Unis dans la lignée de Hawayo Takata, pourrait s’inscrire, en ce qui concerne certaine de ses écoles les plus déviantes, dans cette optique de prédation contre-spirituelle. Il convient donc d’être extrêmement prudent sur la manière dont le Reiki est enseigné et d’interroger l’enseignant sur la voie initiatique dans laquelle il s’inscrit, en plus de la technique de Mikao Usui à proprement parler. Force est également de constater que la plupart des enseignants ignorent que la forme de Reiki (new-age) qu’ils professent est frelatée et qu’ils font courir un risque d’épuisement vital et de réelle déstructuration psychologique à leurs étudiants.
Nous avons la réputation d’avoir contribué à la fermeture de plusieurs groupes de Reiki - et même de centres bouddhistes - en établissant ces faits. Il se trouve chez les enseignants de Reiki et chez certains religieux tibétains des individualités perverses, attirées par les pouvoirs illusoires donnés par les techniques tantriques ou « possédées » par des formes en dissolution du domaine subtil et auxquelles ils servent (consciemment ou non) de médium ou de « channel », y compris sous des apparences angéliques ou de maîtres de sagesse « ascensionnés ».
C’est un fait risque qu’il est sage de garder à l’esprit au moment du choix de l’enseignant. Ces dérives vont de l’enseignant spiritualiste, bien intentionné mais illusionné et sans doute le plus dangereux car peu décelable, au manipulateur cynique, cupide et égocentrique ; voire au pervers. Cette accusation concerne 90% des formes de Reiki et peut affecter même les enseignants les plus respectables lors de phases possibles de « crises personnelles ».
Il existe également, y compris chez les maîtres de Reiki les plus intègres, des moments où les forces hostiles à l’Eveil se font ressentir et vont utiliser comme véhicule, dans leur entourage, ceux dont la structure psycho-subtile est la plus faible. Il convient donc de se méfier des « groupes de Reiki », plus ou moins permanents ; où l’enseignant est parfois habilement manipulé par ses étudiants à son insu. La fonction d’enseignant demande donc savoir-faire ; mais aussi une stabilité mentale, qui fait défaut à la plupart des maîtres de Reiki. Il existe également des enseignants qualifiés et talentueux ; mais ils sont rares.
Quoiqu’il en soit, certains éléments du Shintô sont intéressants pour le Reiki, qui emprunte au renouveau du culte impérial (les poésies et le testament de Meiji) et à des éléments typiquement shintoïstes et même chamaniques :
- Mikao Usui fait référence à l’Empereur, dans sa dimension humaine comme institutionnelle ;
- les termes « Kototama » (les formules sonores des symboles), « Anshi-ritsumei » (la méditation de Mikao Usui sur Kurama-yama, text. la paix intérieure où l’on accepte son destin), « Waka » (poésies de Meiji) et même le terme « Reiki » (l’univers et moi, nous sommes uns) sont nettement issus du vocabulaire du Shintô ;
- les symboles du Reiki semblent une expression des éléments du ritualisme du Shintô, comme suit.
B. Une possible influence du chamanisme shintô sur le Reiki.
Le Shintô présente un rite du Chamanisme, lié à la culture sur brûlis de nos ancêtres nomades, intéressant dans l’étude du Reiki. Une fois le feu allumé par les hommes dans la forêt, l’eau est déversée par le ciel à la saison de la pluie, et le sol peut enfin être travaillé, sous l’action vitale du Soleil.
Ainsi, le rite shintoïste souligne l’importance du feu, comme lien entre les hommes et la nature (ce qui serait exprimé par le symbole le Pont / Honshazeshonen du Reiki) ; de l’eau dont la régulation est attribuée à la Lune (ce qui serait exprimé par le symbole le Mental / Seiheki du Reiki) ; du pouvoir sur la Terre détenu par l’homme (ce qui serait exprimé par le symbole le Force / Chokurei du Reiki) ; et du Soleil, incarné par la Grande Lumineuse Amatarasu-o-mi-kami (ce qui serait exprimé par le symbole le Temple de la Lumière / Daï-komyô du Reiki). Le festival du feu sur Kurama met d’ailleurs en oeuvre ce rite tous les 12 ans.
On retrouve également dans le Reiki, un autre des éléments clefs du Chamanisme : la vibration cosmique. Dans son ouvrage sur le Reiki (« Gendaï Reiki »), le maître japonais Hiroshi Doï, réputé pour son sérieux, explique :
« Les débuts de l’utilisation de l’onde d’énergie remontent à l’antiquité, lorsque les chamans l'ont développée, en communion avec la nature, dans un but de guérison et de guidance spirituelle. Cette méthode a été transmise en secret de géneration en génération jusqu'à ce que Mikao Usui la découvre et établisse sa méthode (Usui Reiki Ryoho), il y a environ quatre vingt ans. Usui Sensei a réussi à finaliser le travail acheminé par les chamans dans sa méthode de soin par l'énergie et la lumière (Ki et Hikari) ».
De quelle onde s’agit-il ? On peut ici faire état de recherches concernant les effets thérapeutiques de la Constante de Schumann , une onde stationnaire entre le sol et l’ionosphère terrestre, et dont la caractéristique est de rendre possible la vie sur Terre. Selon des chercheurs, c’est la synchronisation sur cette fréquence qui serait visée par le Chamanisme, au travers de la transe par résonance des tambours ou par l’absorption de psychotropes. En effet, la résonance électrique dans cette cavité (entre 6 et 8 hz) est identique à celle de nos cerveaux et de tous les organismes. En influant sur les échelles scalaires qui y sont diffusées, il est possible de contrôler les ondes cérébrales – et donc les pensées et même la santé – de toute l’humanité.
Est-ce ces aspects peu connus de la science qui interviennent dans le processus du Reiki, comme dans le Chamanisme ? Il est vrai que le néo-Shintô institutionnel (d’Etat) n’a pas été un modèle de réussite et ne subsiste guère que dans diverses sectes japonaises comme le Sûkyô Mahikari, qui tente de promouvoir une souveraineté universelle de l’Empereur du Japon à l’aide de guérisons par imposition des mains et d’invocations à une « grande lumière ».
Quant au Shintô archaïque, d’essence chamanique, il s’est avéré un instrument de subversion sociale avant-guerre, comme dans le cas de la secte Oomoto Kyô 大本教 (fondée par Nao Eguchi et dont le leader se présentait comme le « messie qui sauverait le monde »). Ce néo-chamanisme shintoïste est généralement hostile au Bouddhisme et à tout apport étranger (gaïjin).
Alors, certes, le Reiki a baigné dans le même bain effervescent que ces sectes et les écoles naissantes d’arts martiaux : le renouveau shintoïste populaire, à l’envers du Shintô d’Etat. Toutefois, il se pourrait que Mikao Usui ait tout simplement, lorsqu’il pratiquait le Bouddhisme Zen, ayant abandonné son statut de missionnaire shintoïste, médité (comme il l’indique) sur le mont Kurama et obtenu (comme il l’affirme) un pouvoir de guérison (donc le Reiki) par accident. Le synchronisme de son expérience avec le mouvement néo-shintoïste ne prouve rien ; en tirer une relation de cause à effet pouvant s’avérer par trop risqué.
Compte tenu de sa formation intellectuelle et de son époque, Mikao Usui aurait alors ultérieurement utilisé naturellement (sans intention) un vocabulaire et des concepts du Shintô, alors le mode de raisonnement socialement admis, pour expliquer et transmettre sa méthode. Il indique lui-même dans son interview qu’elle est originale et personnelle. C’est donc qu’elle ne lui a pas été transmise, comme il le rappelle lui-même. Il se pourrait donc que Mikao Usui ait tout ignoré du Chamanisme et que les versions néo-shintoïstes du Reiki soient une récupération de la méthode par des sectes ou les nationalistes japonais.
Reste qu’il est d’usage, comme le souligne René Guénon, que les membres de familles nobles en leur sein se transmettent des pratiques initiatiques, liées au caractère ambivalent guerrier sédentaire / chasseur nomade de la noblesse. Ainsi, même Mikao Usui affirme ne pas vouloir garder le Reiki pour son seul clan familial, il n’empêche qu’il est le descendant d’une famille de samouraïs, désormais déchus dans le nouveau système social de l’ère Meiji. Est-ce à dire que, comme personne noble, il a alors procédé, après ses échecs extérieurs et son incapacité à réussir socialement, à un retour sur lui-même pour accepter son absence de condition sociale (ce qu’est à proprement parler le rite d’Anshin-Ritsumei) et que la récompense en ait été une réalisation spontanée des petits mystères antiques ? Pourquoi pas ?
C’est là l’hypothèse plausible que nous défendons et que légitiment les informations de la stèle et de son interview. On peut aussi remarquer que Mikao Usui n’a eu aucune prétention à fonder une nouvelle religion ou à affirmer un quelconque rôle prophétique ; ce qui est loin d’être le cas des « illuminés » du néo-chamanisme et autre néo-shintoïsme de son époque. Bref, Mikao Usui aurait ainsi assumé la place d’une personne noble, dans toute société sédentaire déchue du point de vue de la régularité traditionnelle chez les Indo-européens : celle d’exercer la guérison et de procéder à la réaffirmation de la doctrine impériale (dans le Reiki à travers la littérature de Meiji et le code éthique).
Il est vrai aussi qu’à ses débuts sa méthode s’adressait à des Japonais, confrontés à la pensée occidentale. En Europe, le Reiki s’adresse maintenant à des Occidentaux, confrontés à la pensée nippone. Cette inversion de paradigme risque bien de générer quelques incompréhensions. La tâche des enseignants occidentaux est grande : ils doivent non seulement transmettre le Reiki, mais également s’assurer de sa bonne compréhension par les étudiants, sans les défauts de l’orientalisme ou du spiritualisme. C’est ici que le bât blesse, les modernes n’ayant aucune idée de ce qu’est une civilisation régulière comme celle de la Chine, qui a inspiré le Japon, et dès lors de la pensée traditionnelle qui sous-tend le Reiki. Ce à quoi nous avons décidé de remédier en écrivant notre ouvrage "Imperium : la franc-maçonnerie et la nostalgie de l'Empire".
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